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Applications de la réforme du droit des sûretés sur le gage
5 questions à Maître Hélène PAYEN, du cabinet Vivien & Associés, sur les applications pratiques de la réforme du droit des sûretés
La réforme du droit des sûretés a récemment fait l’objet d’une ordonnance et devrait donc rentrer en vigueur au 01 janvier 2022. Cette réforme vient modifier les dispositifs de gages sur stock sans dépossession auxquels nous avons régulièrement recours pour garantir les banques et autres organismes de crédit (le gage « commercial »).
1. Quelle est cette modification et en quoi renforce-t-elle la sûreté du créancier ?
L’ordonnance du 15 septembre 2021 entrera en vigueur le 1er janvier 2022 et ne s’appliquera qu’aux gages constitués à compter du 1er janvier 2022 (sauf pour le gage automobile pour lequel la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance sera fixée par décret sans toutefois pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023). Les gages constitués avant cette date resteront donc soumis au droit ancien et il ne sera pas nécessaire de modifier les actes de gage qui les concernent.
Plusieurs modifications vont affecter le gage des stocks sans dépossession.
- Suppression du gage commercial et du gage spécial des stocks du Code de commerce
L’ordonnance du 15 septembre 2021 unifie les régimes du Code civil et du Code de commerce et supprime les dispositions du gage commercial du Code de commerce. Elle supprime également le droit spécial du gage des stocks du Code de commerce. Ainsi, tout gage sur stocks sera, à compter du 1er janvier 2022, exclusivement soumis au droit commun du Code civil et devra répondre aux conditions de formation du gage du Code civil.
- Création d’un registre unique des sûretés mobilières
L’ordonnance du 15 septembre 2021 prévoit une harmonisation des règles de publicité des sûretés mobilières, en ce compris du gage sans dépossession, à travers la création d’un registre unique. Il faudra cependant attendre la publication d’un décret et le développement de techniques informatiques avant que ce registre ne voie le jour (au plus tard le 1er janvier 2023).
A noter que les formalités modificatives ou de radiation des gages sans dépossession constitués avant le 1er janvier 2022 ou encore les formalités de renouvellement de leur inscription, restent soumises aux dispositions du décret du 23 décembre 2006 actuellement en vigueur en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi. En revanche, les formalités précitées devront vraisemblablement être effectuées au registre unique des sûretés mobilières à compter de l’entrée en vigueur du décret qui le régira, lorsqu’elles seront nécessaires.
- Gage sans dépossession « tournant »
Si le gage sans dépossession porte sur des biens fongibles, comme c’est bien souvent le cas en présence d’un gage de stocks, la règle est désormais que le constituant peut utiliser les marchandises (et donc, il peut les vendre) à charge pour lui de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes. Il est possible d’exclure cette faculté par la stipulation d’une clause contraire dans l’acte de gage.
En outre, dans le cas où le constituant vend les marchandises gagées et les remplace par la même quantité de marchandises équivalentes, les marchandises en remplacement seront automatiquement comprises dans l’assiette du gage, ce qui est une nouveauté bienvenue. Il ne devrait donc plus y avoir de risque d’accroissement de l’assiette du gage, qui est interdit par le droit des procédures collectives à compter du jugement d’ouverture.
- Réalisation du gage
La réalisation du gage par vente forcée est simplifiée si le créancier détient un titre exécutoire puisqu’il ne sera plus nécessaire d’aller voir le juge.
De plus, tout créancier bénéficiant d’un gage sans dépossession en garantie d’une dette professionnelle pourra opter pour un mode de réalisation judiciaire simplifié de son gage, calqué sur celui qui existait pour le gage commercial. La notion de « dette professionnelle » n’est pas définie par le législateur mais l’on peut postuler qu’il s’agit, comme l’a décidé la Cour de cassation, de « toute dette née pour les besoins ou au titre d’une activité professionnelle du débiteur ». Le créancier pourra alors faire procéder à la vente publique du bien remis en gage dans un délai de 8 jours à compter de la signification faite au débiteur et, dans le cas d’un gage constitué en garantie de la dette d’un tiers, au constituant du gage.
Dans les deux situations, il ne sera alors plus nécessaire de demander l’autorisation du juge pour obtenir la réalisation du gage. Le créancier gagnera donc du temps
2. Les deux autres garanties auxquelles nous avons le plus souvent recours sont le gage avec dépossession de droit commun ainsi que le warrant agricole. Ces sûretés sont-elles affectées par la réforme ?
Le gage avec dépossession du code civil connaît une évolution remarquable avec la reconnaissance légale de la faculté de substitution conventionnelle des marchandises gagées fongibles si l’acte de gage le prévoit et toujours à charge pour le constituant de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes. Comme pour le gage sans dépossession, les marchandises en remplacement seront de plein droit comprises dans l’assiette du gage.
Les warrants agricoles devront quant à eux faire l’objet d’une inscription sur un registre spécial tenu par le greffier du tribunal compétent dont les modalités seront fixées par décret. La possibilité pour le greffier de rédiger le warrant est supprimée – ce qui ne change rien en pratiques puisque l’acte était rédigé par les parties elles-mêmes ; le rôle du greffier se limitera à l’inscription de la sûreté sur le registre spécial des sûretés mobilières
3. Le secteur automobile est très consommateur de financement garanti par les stocks et sous deux principales formes : la rétention des documents administratifs et le gage des stocks du code de commerce. Que vient changer la réforme ?
Les gages spéciaux des stocks et de véhicules automobiles seront supprimés à compter du 1er janvier 2022. Les créanciers devront donc se tourner vers le gage de droit commun. En revanche, par exception, le gage de droit commun portant sur un véhicule devra toujours être inscrit sur le système d’immatriculation des véhicules (SIV) sauf s’il porte sur une flotte de véhicules. Dans ce cas, il devra faire l’objet d’une inscription au registre spécial des sûretés mobilières comme tout gage sans dépossession.
4. Nous constatons également la reconnaissance de la signature électronique pour la prise de garantie que nous pratiquons depuis quelques temps. Est-ce à dire que les greffes des tribunaux de commerce seront tenus d’accepter les actes ainsi validés à partir de janvier 2022 ?
L’ordonnance du 15 septembre 2021 abroge les dispositions du Code civil qui faisaient obstacle à la signature électronique, par le constituant, d’un acte de sûreté, sauf pour les besoins de sa profession. Le législateur généralise la validité de la signature électronique pour tout acte de sûreté, ce dont il faut se réjouir compte tenu du développement de ce procédé depuis le début de la crise sanitaire. Les greffes des tribunaux de commerce seront donc tenus de les accepter pour les besoins des inscriptions.
5. Voyez-vous d’autres nouveautés qui affectent les garanties sur stock ?
Il y a d’autres nouveautés qui vont affecter les gages sur stocks parmi lesquelles la possibilité de constituer un gage sur un immeuble par destination (eg. turbines, transformateurs ou panneaux solaires). Le législateur en a profité pour traiter la question du conflit pouvant apparaître avec un créancier titulaire d’une hypothèque sur l’immeuble dans lequel est intégré l’immeuble par destination (eg. conflit entre le bénéficiaire d’une hypothèque sur un immeuble et le bénéficiaire d’un gage sur les panneaux solaires installés sur le toit de l’immeuble hypothéqué).